Formats est un projet à trois plumes. Un projet de rencontres, qui joue de la perméabilité des médiums ; tracer et déplacer les formes, cadrer et découper les traces, sculpter et dompter le corps dans un espace et un format défini.
A trois voix, il a été imaginé de mettre en œuvre un vocabulaire commun entre peinture, danse et photographie, pour faire se rejoindre dans un même espace ces trois langages si codifiés et explorer leurs points de convergence de la manière la plus élémentaire possible.
Le projet se voulait ingénu, explorant les échanges possibles à la seule condition de se sentir libre de créer, pour se jouer de l’encre et de la trace brute, du corps nu et de la danse, de l’instant suspendu de la photographie. Car il est des temps où l’art peut se produire ainsi, où il se fait sans autre raison ni importance que d’entretenir la conviction pure du bonheur et de la jouissance. Pourtant, il est d’autres temps, d’autres lieux, où l’obscur et le chaos rôdent aux portes de cet état paisible. Alors, l’acte de créer, sous toutes ses formes, des plus lyriques aux plus abstraites, devient un acte véritable de résistance par sa nature même d’apparente simplicité et de déraison. D’apparence seulement, car déraisonnable il n’est point. C’est bien la raison qui guide chaque geste, chaque mouvement, chaque cadre et chaque trace d’encre. Cet acte interroge sans cesse le geste et la vision. En questionnant le corps, l’acte même de créer et la jouissance de faire, il suscite le doute. Et n’est-ce pas en doutant que l’on peut rester libre.
Formats donne à voir le lieu et l’instant de ces rencontres, où se croisent ces trois regards. Ce sont alors des rituels qui naissent à la manière d’un ballet de peinture et de danse, de danse et de photographie, de photographie et de peinture. Cet ouvrage propose les deux premiers Formats de ces rencontres entre divers médiums artistiques.
Jérôme Liniger, Anthony Roques, Nicolas Jacquette
D’encre et de chair
Si l’encre est de tout âge, la chorégraphie du geste l’est aussi. Comme dans le Cha Do1, dans lequel chaque geste est une respiration, le temps se suspend quand l’on trouve l’équilibre entre le corps et l’encre. Il ne se fige pas, il se suspend ! Comme une eau calme, mouvante sous sa surface, comme le muscle au-dessous de la peau, le souffle anime l’encre de l’intérieur.
C’est là où la danse rencontre l’encre, quand tout converge dans un même flux, une même énergie, dans une tension infinie. Là, telle une respiration, tout est fluide, suspendu, l’instant d’une trace d’encre, d’un geste, l’instant d’une photo. La boîte obscure capte une fraction de cette multitude de matières et de langages chorégraphiques. Le geste devient écriture, partition. Le passage du pinceau rappelle alors le sillon précis laissé par la lame d’un sabre, fluide, précis et pur.
Mais les médiums les plus simples sont parfois les plus complexes à dompter. L’encre, la tâche d’encre, le geste, le corps du pinceau et du peintre, les coulures de pigment. Il faut autant de temps pour que l’encre s’écoule seule, pour la laisser faire sans retenue, sans ombrage, qu’il faut de temps pour que le corps soit libre, fluide, prêt à traduire avec épure chaque sentiment. Alors, à la façon des ‘rites de passage’, ces performances se font dans un presque silence, un peu comme une méditation à plusieurs. Chaque acte ne dure que quelques heures, pourtant le moment est suspendu, presque tribale, fugace et éternel à la fois.
Puis, ces images sont fabriquées comme un tableau ancien, car mises en cadre, recherchées, jusqu’à ce que l’équilibre se trouve. Enfin ces images sont données à voir. A vous, sans qui notre art ne sert finalement pas à grand-chose !
Jérôme Liniger
Gestes
L’exploration chorégraphique s’articule autour des limites du corps. Un langage naît de ce champ infini. Poser une main, laisser le corps se déposer, se tordre, se croiser, faire correspondre, imaginer les possibilités articulaires d’un membre à l’autre, tenter de les transposer, trouver des textures de corps. Il en ressort une organicité inspirée de la recherche sur l’empreinte de la chorégraphe Nathalie Pubellier : la mémoire des sensations physiques.
Le corps se meut, s’accélère. Il choisit un instant pour mettre en évidence un détail, composer ou se laisser porter par l’énergie constante, en réunissant l’encre du peintre et le point de vue du photographe. Tantôt accompagner un élan, puis le suspendre. Jouer sur le visible et le non visible. En dessinant clairement l’espace, d’une partie de corps, ou bien le saturer, dans une globalité gestuelle. Dans cet écrin que constituent ces formats blancs jaillit une exploration commune, un flux qui circule, entre geste, tracé et cadre.
Anthony Roques
Mouvant, respirant, vivant
Chercher dans la capture d’image les porosités entre hors-champs et points de contacts. Explorer comment la photographie peut exprimer l’énergie et la sensualité d’un mouvement pictural conjugué à une expression chorégraphique et interagir directement dans la production plastique.
Travailler sur l’interconnexion et l’influence des médiums entre eux, où la photo se fait danse et peinture, jouant de la distance et de la pénétration dans le sujet peint, pour faire de l’image prise, plus qu’une photo de danse et de peinture, la continuité du geste de peinture dans une photo dansée.
Dans cette recherche, les autres ‘performers’ sont plus que sujets, supports et modèles, ils sont acteurs créateurs de l’image. En se projetant à la fois sur le support peint et dans l’œil du photographe, ils créent un espace multidimensionnel : le geste déploie une grande variété plastique, créant, par superpositions des cadrages de la toile, des corps et du capteur, des formats croisés, mouvants, ‘respirants’, vivants.
Nicolas Jacquette